GIMME SHELTER
d’Albert Maysles, David Maysles et Charlotte Zwerin
collèges et lycées
1970, 90mn
Le samedi 6 décembre 1969, dans l’autodrome d’Altamont, en Californie près de San Francisco, 300 000 personnes sont attendues pour assister à un concert gratuit des Rolling Stones. Ce spectacle marque leur retour après trois ans d’absence et clôt une tournée dans les plus grandes villes américaines. Mais l’organisation n’est pas simple : d’abord le lieu du concert, qui doit être changé et négocié par l’avocat des Stones, puis, la nécessité d’installer l’immense scène en un temps record, ou encore les problèmes d’encadrement et de sécurité que la police ne pourrait pas assumer… Des bénévoles du public prêtent main forte pour l’installation, et se seront les sulfureux Hell’s Angels de Californie qui se chargeront de la sécurité, tandis que l’on filmera le show comme une grande émission de télévision en direct. Le public est relativement calme au début, quand d’autres groupes passent. On est en pleine période hippie, les gens fument, boivent, il souffle un vent de liberté et on sent une anarchie qui peut paraître bénigne. D’ailleurs, les spectateurs sont pratiquement sur la scène, sauf qu’ils sont maîtrisés un peu violemment par les Hell’s Angels. Leur brutalité ne plaît pas du tout à certains groupes qui menacent de s’arrêter de jouer s’ils ne cessent pas. La tension est alors très vive. On a de temps à autre des mouvements de panique dans la foule qui ne prédisent rien de bon. La nuit est tombée quand les Stones déboulent sur scène et, très vite, la musique fait place à l’hystérie. Des bagarres éclatent et l’illusion du “we can be together” vole en éclats, jusqu’au drame...

Suivie d’une intervention de François Bégaudeau (critique de cinéma, écrivain), sous réserve.

Film de rock légendaire, provocant et troublant, bien plus qu’un simple concert filmé, “Gimme Shelter” est le témoignage d’une époque en pleine mutation. C’est peut-être le tournant et la fin symbolique de la période hippie, avec l’un des plus grands drames de l’histoire du rock filmé par des caméras, tel le reflet d’un rêve qui tourne au cauchemar. On est à cent lieues du concert de Woodstock, réputé pour son organisation “ peace and love ”, et encore bien loin des festivals actuels où tout est bien organisé et contrôlé : ici, c’est l’improvisation qui domine, jusque qu’à ses limites ultimes. Surtout, on peut prendre le pouls de cette ambiance incroyable qui régnait dans le public : portrait d’une génération avec ses espoirs d’un monde nouveau… et ses illusions. Mick Jagger plus fringant que jamais avec son chapeau coloré de l’Oncle Sam : portrait aussi d’un groupe mythique, en pleine gloire, dont ce concert sera certainement la prise de conscience des travers de la popularité et de la folie des foules rassemblées en une illusoire communion. Mais documentaire aussi, et tout de même, au delà du drame, sur la joie exhortative du rock, sur sa puissance érotico-politique, sur son pouvoir libérateur des carcans d’une société encore très conservatrice. Car si le rock est symbole d’émancipation pour une jeunesse qui affirme sa volonté de ne pas vivre comme ses parents, les ambiguïtés de ce mouvement (liées à la vitesse de la musique, à sa distorsion, sa violence, ses paroles engagées, ainsi qu’à l’univers de la fête et des drogues) n’en font pas la musique du diable (cf “ Sympathy for the devil ” des Stones). Peut-être tout mouvement de libération et d’émancipation s’accompagne-t-il d’errements et de violence. Peut-être toute révolution doit s’achever dans un drame qui remet en question les enjeux des choses non-assumées. C’est ce que semblent dire les regards de Jagger et de ses Stones rivés sur les images qu’ils découvrent après coup dans la salle de montage des Maysles… Concerts mythiques, artistes incroyables, musique qui nous fait frissonner et admettre sans détour que ce fut sans doute la plus grande période musicale de l’ère contemporaine, avec sa fin annoncée prématurément, mais inéluctablement.


© Maysles Films Inc 1995
© Maysles Films Inc 1995