LOS ANGELES PLAYS ITSLEF
Collèges et lycées
États-Unis . 2003 . 2h50 . documentaire . VOSTF

À partir d’extraits de films hollywoodiens célèbres de tout le 20ème siècle, mais aussi de films étrangers, indépendants, expérimentaux, Thom Andersen narre la carrière de Los Angeles au cinéma dans son propre rôle. Comment, d’une part, la carte de la ville peut être retracée à travers les films, innombrables, qui en ont montré telle ou telle partie. Comment, d’autre part, le cinéma n’a pas cessé de la réinventer, la distribuant dans des emplois multiples et volontiers contradictoires. C’est donc l’envers de la fabrique qui est ici révélé. Non pas le cinéma se retournant livré sur lui-même, mais la manière dont, une fois achevé, il retourne à la réalité en la (re)fabriquant.

“ Los Angeles plays itself se présente donc comme une immense collection d’extraits de fictions mises bout à bout sur laquelle vient s’insérer une voix off, un récit. Le documentaire dure trois heures et s’apparente à une longue dérive à travers les films et la ville, leur histoire croisée. Un album d’images en mouvement qui recense, sans volonté d’exhaustivité, ce qui transparaît de Los Angeles dans les films qui s’y sont tournés. Une plongée dans ce que le cinéma peut produire de noirceur et d’effroi. Le projet se veut la vérification d’une idée : les films qui prennent pour décor Los Angeles documentent du même coup la ville elle-même. Ce point de départ renferme cependant un revers esthétique : Los Angeles (au contraire de New York par exemple) est une ville “ incadrable ”, une étendue illimitée et tentaculaire qui refuse de livrer aux regards ses frontières. Impossible dès lors d’en livrer un point de vue clair et englobant. Les extraits de films présentés déclinent ainsi l’image d’une ville s’étendant à l’infini, excédant sans cesse le cadre de la caméra, dès lors ressenti comme se situant irrémédiablement en-deçà de la réalité. Los Angeles serait un défi lancé à l’entreprise qui viserait à la circonscrire. La ville relève du mythe pour qui veut tenter de la saisir par les moyens de l’image : un objet trop complexe, vaste, absolu, qui offrirait l’aspect d’un ensemble d’événements, de micro-histoires, de mini-villes dans la ville, une forme d’unité océanique diluée dans ses multiples courants. C’est pourtant bien là que s’est installé le cinéma, son industrie, de là que le rêve américain s’exporte, aux portes d’une ville qu’il prend visiblement plaisir à dévaluer. L’argument central du film d’Andersen, et auquel il semble difficile de ne pas adhérer, vise à lier de façon indéfectible esthétique et politique : filmer Los Angeles revient à en fournir une image, donc à articuler à son sujet un discours élaboré, construit. Terminator de James Cameron tout autant que Double Indemnity de Billy Wilder répondent à cette exigence. Les films racontent quelque chose de cette ville qui reformule, à travers eux, sa forme à la fois fascinante et monstrueuse. Quelques films-clés jalonnent ainsi son histoire. Par exemple : Les films noirs des années 40 et 50 mettent en scène le vice sous toutes ses formes. Los Angeles est alors la ville de la perdition, des poursuites infernales, des pactes passés avec le diable souvent déguisé en femme. Les années 60 font le choix du néo-réalisme pris en charge par les cinéastes noirs qui montrent ce que personne ne veut voir : la pauvreté des quartiers ethniques, laissés à l’abandon. Les années 70, incarnées par le Chinatown de Roman Polanski, montre la lutte inégale et perdue d’avance contre un pouvoir institutionnel et judiciaire infiltré partout et corrompu. En 1997, L.A Confidential reprendra sous une autre forme ces thématiques. Les années 80 sont celles des explosions déliquescentes. Blade Runner, réalisé en 1982 par Ridley Scott, se situe en 2019 : Los Angeles est devenue une ville décadente, aspergée de pluie d’acide, plongée dans la nuit. Dans le premier Die Hard de John McTiernan (1988), l’immense tour de bureaux, symbole du capitalisme le plus sauvage, infestée de terroristes, flambe sans que la police puisse intervenir, seul un héros déchu parvient à sauver la population prise en otage. La ville semble être à feu et à sang. La ville prend petit à petit le visage d’un espace profondément déstructuré où régnerait une forme de terreur moderne. Faisant suite à l’affaire Rodney King, les “ émeutes de Los Angeles ”, qui démarrent le 5 avril 1992 dans le quartier de South Central, sont retransmises par toutes les télévisions. Les maîtres mots de la politique urbaine qui s’installe alors sont ceux de “ sécurité personnelle ” et d’“ isolation sociale ”, un nouveau facteur étant venu s’ajouter à l’évolution sans entrave des inégalités et du crime : la peur. Dans une scène qui frôle le cinéma fantastique, Collateral de Michael Mann (2004) orchestre un face à face glaçant : le mercenaire moderne incarné par Tom Cruise qui parcourt la ville en taxi rencontre en pleine nuit un coyote, qui semble chez lui dans les rues vides et sans fond de L.A. La ville est devenue un décor de cinéma habité par des animaux sauvages ou des meurtriers en liberté, ingouvernable, une ville fantôme moderne dont la communauté des hommes a finalement été bannie. ” Extrait d’un article de CLARA SCHULMANN


Los Angeles Plays itself
Los Angeles Plays itself
Los Angeles Plays Itself
Los Angeles Plays Itself