Après des siècles de quasi-monopole des hommes dans la chose artistique, nous en arrivons maintenant à une presque parité dans certains arts (art contemporain, photo, littérature). Qu’est-ce qu’il en résulte ? Comment ces arts s’en sont trouvés modifiés ? Comment cet accès à la parole a changé la condition féminine, en quoi elle a supporté la cause féministe ? Le constat est accablant et néanmoins objectif. Pendant des siècles, à de dérisoires exceptions près, les plus connus des peintres, des écrivains, des musiciens sont des hommes. Dans le domaine de l’art comme dans beaucoup d’autres, l’universel est borgne, s’ampute de la moitié de ses cerveaux, coeurs, corps. Le vingtième siècle change la donne, portant quelques femmes artistes au sommet de l’affiche dans sa première moitié, puis rééquilibrant les forces ces dernières décennies, au point que nous en sommes aujourd’hui, en littérature par exemple, à une quasi parité. À partir de là, plusieurs questions se posent. D’abord, comment s’est-il pu que les femmes soient si longtemps reléguées hors des hautes sphères de l’art, et à l’inverse, comment est–il devenu possible qu’elles conjurent ce mauvais sort ? Avec, pour ce qui est de la réflexion historique, cette question subsidiaire : la parité quantitative ne masque-t-elle pas un gouffre qualitatif dans les esprits, et la disqualification persistante des travaux esthétiques livrés par des femmes ? Pour inscrire définitivement la réflexion dans le monde contemporain, le débat du 18 octobre sera surtout vertébré par deux questions réciproques. Dans un sens : en quoi l’avènement d’une relative égalité esthétique a-t-elle soutenu, impulsé, peut-être freiné ?, les combats féministes et l’émancipation des femmes ? Dans le sens inverse : en quoi l’arrivée massive des femmes dans le champ de la création a-t-elle modifié celui-ci ? Qu’est-ce que l’art a fait aux femmes, qu’est-ce que les femmes ont fait à l’art.
François Bégaudeau