SOUS INFLUENCE(s)
En invitant Cécile Bicler, artiste-vidéaste et collectionneuse de films d’horreur, l’association Zarlab invite une femme sous influence à présenter six films de genre déployant le spectre du féminin. Ce qui saute aux yeux, dans la densité de cette programmation marquée par le double genre du féminin et du fantastique, c’est peut-être moins la figure féminine, son image ou son visage, que la puissance de transfiguration de ces femmes confrontées à l’irrationnel, à la violence et à l’horreur. De Cat People (1942) à Silent Hill (2006), d’Irena à Rose en passant par Ripley, la féminité figurée par le cinéma fantastique révèle une étrange familiarité avec son dissemblable, avec l’inhumain : animal, démon, assassin…
Si ce cinéma là montre la part apparemment maudite du féminin, il fait surtout éclater la figure féminine en tant qu’image passive, fantasme viril ou fabrication médiatique. Ces femmes échappent à leur image et s’en libèrent en assumant leur devenir animal, leur sensibilité médiumnique, leur appétit dévorant, leur puissance de mort.
Ce que ce cinéma là met en scène, au delà de la figure sexy, ingénue, hystérique ou glamour, au-delà des injonctions de la mode et du moderne, c’est l’influence du cycle, du cercle, du retour. Ce qui revient à travers ces entités sororales confrontées à tout autre chose que l’homme, c’est le sang, c’est le sentiment d’étrangeté qui les conduit à la terreur, c’est l’instinct de survie.
Ces figures de femmes entrent alors dans un rapport dénudé au réel invaginé que la modernité tient scrupuleusement à l’écart de son arrogance progressiste. Et plus la civilisation est « moderne », plus la femme puise à la source immémoriale d’une horreur salutaire, d’une saine colère.
Abritées dans le confort de la modernité, dans leurs appartements cossus, dans leurs maisons luxueuses, dans leurs vaisseaux spatiaux dernier cri, ces femmes découvrent que chaque couloir, chaque porte ouvre sur un temple, un asile, un champ de bataille.
Zarlab
Bienvenue dans un monde hostile où traînent ici et là des figures qui n’attendent qu’un regard attentif, le votre, pour se transformer devant vous, faire le deuil de leur humanité et plonger nues dans leur féminité.
Le danger est grand et avide mais elles ont peu à perdre.
L’amour, ce clair objet, ne répond pas toujours présent. Perdues au milieu de ces terres de dérives, elles n’y pensent plus.
Ces modernes veulent du mouvement : du flamboyant, fou, fantastique, mouillé, sauvage et destructeur.
On en rêve toutes, elles l’ont fait.
Ce sont nos héroïnes, vitales et sacrifiées.
L’exil.
Chaque femelle vit ici où il y a un chat, une sangsue, un lapin, une hyène, un lézard et une baleine.
Elle va par des territoires jusqu’alors inexplorés et découvre une nouvelle altérité, encore plus effrayante que celle qu’elle croyait subir au quotidien. C’est un affrontement qui ne peut se faire que par l’exil, le voyage, le déplacement, la quête : à la recherche de cet obscur objet : le désir : le sien : celui d’être une femme.
Le déplacement mène à l’affrontement.
Voir la vérité en face quitte à la perdre permet d’avoir le sentiment d’exister au moins une minute plutôt que de sous exister toute une vie.
La minute, égarée dans le « genre », peut enfin devenir une éternité.
Redevenir l’enfant d’avant le sexe qui ne fait que jouer avec le feu, le sang (le sien et celui des autres) et le monde entier.
Une horreur ludique et désespérée.
De toutes les voies, c’est folie parfaite que d’oser s’aventurer sur pareils territoires.
Est ce cela le féminisme ?
L’image de la femme risque d’en prendre un sacré coup.
Cécile Bicler