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Rencontres du cinéma indépendant de La Roche-sur-Yon

Le principal objectif des Rencontres du cinéma indépendant, organisées par le Festival international du film de La Roche-sur-Yon, le SDI (Syndicat des distributeurs indépendants) et l’ACOR (Association des cinémas de l’ouest pour la recherche) est de faire découvrir des oeuvres d’auteurs inédites, issues des lignes éditoriales des membres du SDI, qui ne bénéficient pas de la notoriété préalable des films art et essai médiatisés. Dans le secteur cinématographique, contrairement à la règle industrielle habituelle, la fonction « recherche et développement » n’est pas assurée par les groupes dominants. Le renouvellement de l’offre de films (accompagnement de nouveaux cinéastes, découverte des cinématographies peu diffusées, réédition des oeuvres du patrimoine cinématographique…) repose exclusivement sur les distributeurs indépendants, qui font office de « têtes chercheuses ». Ils en avancent les « frais d’édition » (promotion et tirage des copies), assumant seuls les risques d’un éventuel échec. Afin d’être reconnus et d’avoir une chance de déclencher le « bouche à oreille » favorable qui leur donnera accès à un nombre significatif d’écrans, ces films doivent pouvoir être vus par le maximum de programmateurs de salles, de journalistes et de spectateurs cinéphiles. Les festivals à la ligne éditoriale exigeante, comme celui de La Roche-sur-Yon, sont des platesformes idéales.

 
Un jury composé de journalistes spécialisés – Isabelle Regnier (Le Monde), Éric Loret (Libération), Christophe Kantcheff (Politis), Yves Aumont (Ouest France), auxquels s’était jointe Catherine Bailhache (coordinatrice de l’Acor), a accepté de sélectionner quatre films de qualité venant d’horizons géographiques très divers : Les Acacias de Pablo Giorgelli / Argentine distribution : Bodega (Caméra d’or au Festival de Cannes 2011) Il n’y a pas de rapport sexuel de Raphaël Siboni / France / distribution : Capricci My Land de Nabil Ayouch / Maroc / distribution : Les Films de l’Atalante The Day He Arrives de Hong Sang-soo / Corée distribution : Acacias Ils seront présentés au public du Festival par leur distributeur, en présence du réalisateur lorsque cela sera possible. Les Rencontres de La Roche-sur-Yon auront également pour fonction de créer des conditions propices à divers échanges professionnels. Formels (table ronde, (voir p.57) ou improvisés, ils inviteront distributeurs, exploitants et journalistes à échanger sur des sujets d’actualité touchant l’économie de la filière du cinéma indépendant (notamment sur les conditions de l’équipement des salles en matériel de diffusion numérique des films et les conséquences économiques et culturelles induites). Après l’expérience plaisante et enrichissante du jury de la presse l’an dernier, le festival de la Rochesur- Yon nous a sollicités pour sélectionner les films du Syndicat des distributeurs indépendants présentés lors de l’édition 2011. Demande inhabituelle pour un quatuor de critiques venus d’horizons différents. Fallait-il cesser d’exercer notre métier et composer une programmation ? Nous l’avons tenté d’abord. Notre sélection devait-elle être éclectique, consensuelle, représentative des films qui nous étaient soumis ? Cet essai a fait long feu : pour chacun de nous, seuls deux ou trois films comptaient réellement. Nous avons donc décidé d’affirmer un choix résolu, une sélection cohérente et stimulante. Notre désir de la proposer aux spectateurs en est d’autant plus vif. « Un choix résolu », cela signifie en premier lieu l’adhésion la plus large au sein de notre petit collectif, et justifiée par des arguments forts. Ainsi, sur les douze films qui ont été donnés à voir, nous en avons retenu quatre : My Land de Nabil Ayouch, les Acacias de Pablo Giorgelli, The day he arrives de Hong Sang-soo et Il n’y a pas de rapport sexuel de Raphaël Siboni, les deux derniers l’ayant été à l’unanimité. Certes, nous ne pouvons revendiquer de révéler quatre oeuvres inédites : les films de Hong Sang-soo sont régulièrement sélectionnés à Cannes, et les Acacias y a obtenu cette année la Caméra d’or (prix réservé à un premier film, toutes sections confondues). Mais nous n’avions aucune raison d’écarter ces films, bien au contraire, dès lors que nos choix ont été avant tout guidés par l’idée que nous nous faisons de l’exigence cinématographique, comme d’une ouverture, d’une surprise à partager. Surpris, nous l’avons été par Il n’y a pas de rapport sexuel, de Raphaël Siboni, un film qui frappe autant par ce qu’il montre que par le geste qui en est à l’origine. Plus connu dans le milieu de l’art contemporain où son nom est toujours associé à celui d’un autre artiste, Fabien Giraud, Siboni change ici de partenaire mais reste fidèle à l’éthique collaborative qui est au coeur de son travail. Ce documentaire est un pur film de montage, conçu à partir d’images froidement filmées pendant dix ans sur les plateaux des tournages X de HPG. Sans porter aucun jugement, Il n’y a pas de rapport sexuel ouvre des abîmes de questionnements : sur la sexualité, la solitude moderne, les mystères du désir et du plaisir, la domination et l’aliénation. Mettre à mal les certitudes et les modes de représentation du spectateur, se donner comme un miroir grossissant, très déstabilisant, du monde tel qu’il va, c’est aussi le travail de My Land, documentaire du cinéaste franco-marocain Nabil Ayouch sur le conflit israélo-palestinien. Contrairement à d’autres, Ayouch ne défend pas une cause, ni n’entonne l’air consensuel de la réconciliation à tout prix. Il s’inscrit plutôt dans le prolongement d’une démarche personnelle, celle d’un homme parvenu à dépasser une position strictement passionnelle vis-à-vis d’Israël et des injustices commises envers le peuple palestinien, en un désir de voir sur place, de se confronter à la situation dans toutes ses nuances. My Land est fondé sur une belle idée de cinéma, qui a consisté à filmer les témoignages de vieux Palestiniens réfugiés au Liban depuis qu’ils ont été chassés de leurs terres par l’armée sioniste en 1948, et de les faire entendre à de jeunes Israéliens qui vivent aujourd’hui sur ces mêmes terres, dont la plupart sont dans le déni des circonstances tragiques qui ont présidé à la création de leur pays. Ces images agissent sur eux comme un retour du refoulé. L’intensité de leurs réactions atteste d’un malaise diffus autant que de leur attachement indéfectible au lieu où leur vie se déploie. My Land concentre toute la complexité politique et psychologique de ce conflit, qui ne peut pourtant rester sans solution. Ce n’est pas la moindre de ses qualités. Aucune politique ou sociologie visible au contraire chez le Coréen Hong Sang-soo. Dans The day he arrives, la musique est connue. C’est une ritournelle qu’on revisite avec le même plaisir, depuis dix ans qu’on le fréquente. On boit, on s’engueule, un cinéaste raté rencontre des femmes, des étudiants, le temps d’un séjour à Séoul. Les tables se suivent et se ressemblent, on dit ce qu’on ne pense pas, on ne fera pas ce qu’on dit, on ne sait plus ce qu’on pense. The day he arrives est une petite forme, un film de poche, en noir et blanc, et Séoul ressemble à Venise sous la neige. économie des plans, éloge de l’amour court, puisqu’on ne drague ici que dans le but de se quitter ensuite pour toujours. Avec ce film bref, jamais on n’avait aussi bien aperçu que, chez Hong Sang-soo, c’est l’existence elle-même, infiniment passive et éternelle, qui regarde les personnages. Autre existentiel, l’Argentin Pablo Giorgelli déroule un scénario minimaliste, linéaire, silencieux ou presque, en inscrivant 1 500 kilomètres de plus dans une cinématographie nationale aimantée par l’axe routier nordsud où circulent déjà de nombreuses figures solitaires, telles Bombón el Perro de Carlos Sorin. Ici, un camionneur mutique, une femme paraguayenne avec enfant en cabine, passagers inopportuns. Route, exil intérieur, pudeur, brève rencontre… Pas besoin d’aller plus loin pour imaginer ce qui est en jeu, ce qui se noue. En cela, les Acacias est sans doute le film le plus sage de cette sélection. Chacun y tient sa place, sans ostentation. Sans bouger, les personnages se rapprochent. Confinée dans la cabine, la caméra se pose : champ / contre-champ, plans fixes sur l’une, l’autre, l’enfant. Derrière la vitre du camion, le ruban du paysage défile dans la poussière qui danse. Et le spectateur, brinquebalé dans la touffeur diesel des changements de régime, embarque à leur bord, se laisse gagner par la monotonie infusée par le maté. Comme si, bien avant le générique, il était du voyage. Comme s’il savait que la trajectoire de ces deux-là devait se poursuivre de toute éternité. Faire la route avec d’autres, le cinéma est aussi là pour ça.
 

Yves Aumont, Christophe Kantcheff, Eric Loret, Isabelle Regnier

the day he arrives

my land

Il n’y a pas de rapport sexuel

Les Acacias