Jia Zhang Ke

Futur ancien fugitif

Jia Zhang Ke est sans conteste le plus grand cinéaste chinois contemporain. Depuis son premier long métrage, Xiao Wu, artisan pickpocket, il a construit une oeuvre qui, comme nulle autre, a su rendre compte de la transition opérée par la Chine du communisme au libéralisme. Tournant d’abord sans autorisation puis, mais seulement depuis peu, avec l’accord des pouvoirs, il a articulé cette mutation historique à une double mutation cinématographique.

 
D’une part la substitution, progressive puis irréversible, du numérique à la pellicule, puis de la haute-définition aux caméras DV des premières années : ses deux longs métrages les plus célèbres, The World et Still Life, en sont l’expression éblouissante. Et d’autre part les noces toujours plus puissantes de la fiction et du documentaire : ceci est sensible dans The World, tourné dans les décors du parc d’attraction du même nom situé dans la banlieue de Pékin, et dans Still Life, dont l’atmosphère doit tant à l’immense chantier du barrage des Trois Gorges ; ce l’est encore davantage à l’échelle de toute la filmographie, où l’un, le documentaire, ne cesse d’alterner et de nourrir l’autre, la fiction : ainsi la conception de Plaisirs inconnus est-elle inséparable de celle d’In Public, tout comme la conception de Still Life est inséparable du portrait de peintre intitulé Dong, qu’il prépare et commente à la fois. Mieux encore : les plus récents longs métrages documentaires de Jia, 24 City et I Wish I Knew, mêlent les témoins réels et ceux qu’interprète — « pour de vrai » — l’actrice d’à peu près tous ses films, Zhao Tao. Jia a donc saisi une triple dissolution. Du communisme dans l’économie de marché. De la matérialité de la pellicule dans l’immatérialité des pixels. De la fiction dans le documentaire et réciproquement. On pourrait en ajouter d’autres, la rencontre de la chronique et de la science-fiction, de l’image et de l’écriture.... Par là, Jia est sans doute le plus contemporain des cinéastes, celui qui, depuis près de quinze ans, montre la voie, le digne successeur et compagnon de son maitre, le taïwanais Hou Hsiao-hsien : un styliste, sinon un avant-gardiste, doublé d’un redoutable observateur social. Mais il lui revient aussi d’avoir montré, là encore mieux que nul autre, que le plus actuel du cinéma — le numérique, le mélange des régimes d’image et de récit — est aussi, sinon le plus inactuel, du moins ce qui s’accommode le moins des naïvetés progressistes. Le numérique, oui, mais d’abord et surtout pour montrer ce qui résiste à l’immatériel du pixel : la pierre, la ruine, le travail, tous ces fantômes du XXe siècle vers lesquels le cinéaste ne cesse de se retourner, qu’il filme l’aliénation des loisirs après celle du salariat (The World), l’usine et ses déserts (24 City), la mode comme art d’arranger des vestiges (Useless). La Chine nouvelle, oui, mais continument hantée par l’ancienne. Le grand art du cinéma allant de l’avant, oui, mais travaillé par l’archive, la mémoire, tous ces monuments d’hier qui tardent à tout à fait s’effondrer. Le nouveau, à bien des égards, n’est jamais que l’ultime soubresaut de l’ancien : nous avançons en titubant parmi les restes ; nos soucoupes volantes — Jia en a filmé —, notre mondialisation sont peut-être autant de vieux rêves. Cette rétrospective intégrale prend place au sein du large partenariat liant le festival et Capricci. L’éditeur publiera en effet, en 2012 la traduction française d’un recueil de textes et d’entretiens du cinéaste ayant remporté un beau succès et qui témoigne à la fois de la puissance et de la continuité de son inspiration et de son inscription décidée au sein de l’histoire récente de la Chine et de son cinéma. Un long extrait est présenté ici. D’autres seront disponibles pendant le festival, montrant quelle voix irremplaçable est aujourd’hui celle de Jia Zhang Ke.
 

par EB

Xiao Shan Going Home

Xiao Wu artisan pickpocket

the condition of dog

platform

Plaisirs inconnus

in public

dong

the world

our ten years

stil life

Cry me a river

useless

remembrance

black breakfast : stories on human Rights - segmen

24 city

I Wish I Knew, histoires de Shanghai