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WALTER MURCH

génie de notre temps

« Walter a des théories fabuleuses sur d’innombrables sujets, notamment à propos de l’idée de structure. C’est l’un des rares artistes du septième art à placer sa réflexion dans un contexte beaucoup plus large – sur le plan littéraire et philosophique – que celui du seul film. Sa démarche est constamment imprégnée par l’intérêt qu’il porte à ces autres domaines. » Francis Coppola

Son nom est peu connu du grand public : Walter Murch est pourtant l’un des plus grands expérimentateurs du cinéma contemporain. Un génie, faudrait-il dire, si le mot n’était pas galvaudé. C’est un honneur de l’accueillir à La Roche-sur-Yon.

 
Né le 12 juillet 1943, Murch s’intéresse très tôt à ce qui deviendra sa première activité dans le cinéma : le son. Enfant, il passe de longues heures avec un enregistreur à bandes. Il capture, modifie, dénature et colle les sons dans d’étranges compositions – il a d’ailleurs affirmé que la meilleure manière d’être heureux est d’exercer une activité correspondant à ce qu’on aimait faire à l’âge de dix ans. Après deux années d’études en Europe pour apprendre les langues romanes, Murch rentre aux états-Unis étudier le cinéma à l’Université de Californie du Sud. Il y rencontre Georges Lucas, puis Francis Coppola, devient leur ami puis collaborateur et participe à l’aventure des studios Zoetrope en devenant leur mixeur puis monteur image attitré. C’est le début d’une longue carrière : Murch a travaillé notamment sur Apocalypse Now et Le Parrain, mais aussi pour Ghost et Le Patient anglais. L’académie des oscars l’a récompensé à plusieurs reprises. Il a surtout fait évoluer son métier en en repoussant sans cesse les limites techniques. Murch a traversé avec passion les expériences extrêmes : seul un pour cent de la matière filmée est présent dans le montage final d’Apocalypse Now – un petit massif de 4 kilomètres taillés dans une jungle de 380 km ! Sa patience, ses multiples domaines d’intérêt et sa volonté de privilégier l’expérimentation l’ont conduit à développer des méthodes de travail propres à accueillir les jaillissements du hasard et les accidents, à traiter avec ouverture et fraîcheur d’esprit les idées a priori les plus farfelues. Personnalité solitaire, il vit en marge du système hollywoodien. Il s’intéresse à des sujets aussi vastes et variés que la cosmologie, la poésie, les mathématiques… Il monte debout et écrit allongé. Après une période de montage, il aime se consacrer à une activité non cinématographique : dernièrement, la traduction des poèmes de Curzio Malaparte. Ses pairs le décrivent volontiers comme un esprit de la Renaissance. En un clin d’oeil, son « traité zen » sur le montage, tire son titre d’une théorie selon laquelle le meilleur moment pour couper un plan correspond au clignement d’yeux de l’acteur, surtout quand celui-ci est bon : le clignement traduit alors naturellement l’arrêt d’une pensée. Ce livre énonce le point de vue de Murch sur l’évolution des techniques et du métier et expose généreusement les astuces développées au fil des années. Ses métaphores toujours surprenantes, volontiers animales, et sa carrière exceptionnelle transforment un sujet ardu en une présentation fascinante du métier de monteur. Le festival sera notamment l’occasion d’assister à la projection de La Soif du mal d’Orson Welles, qu’il a remonté quarante ans après sa sortie : « C’est en bouclant ce nouveau montage et en resituant ces idées dans la perspective du film que j’ai compris ce que Welles avait en tête. ». En 1958, Welles se fâche avec le patron d’Universal qui le considère comme un frimeur doublé d’un incapable. Le cinéaste se fait déposséder de ses bandes et, pendant quatre mois, Universal modifie le film et y ajoute quatre scènes réécrites puis tournées par Harry Keller pour clarifier l’intrigue. Welles n’a le droit de regarder son film qu’une unique fois avant la sortie. Pendant la projection, il a écrit frénétiquement des notes qu’il a ordonnées dans un mémo de cinquante-huit pages, rédigé dans la nuit suivant la projection. En 1998, Rick Schmidlin, réalisateur de spots publicitaires pour Harley Davidson, lit un article à propos de ce mémo. Il se met en tête de le retrouver et de convaincre Universal de remonter le film selon les désirs du cinéaste. L’année précédente, il avait assisté à une conférence de Murch à propos du son dans Conversation secrète, qu’il a décrite comme ce qu’il a entendu de plus intéressant à propos du cinéma. Il le contacte pour lui demander de prendre en charge la réalisation technique du projet. Schmidlin et Murch se sont plongés dans la lecture du mémo de Welles et en ont décrypté cinquante propositions concrètes pour améliorer le film. Alors qu’ils ne disposaient que du négatif original et qu’aucune chute n’avait été préservée, ils ont pendant plusieurs semaines remonté La Soif du Mal pour rendre justice, quarante ans plus tard, aux souhaits de Welles.
 

par Mathieu Le Roux

3 questions à Walter Murch

La soif du mal